4. l’impact des pirates sur le commerce, notamment la traite des esclaves
Les pirates visent principalement les navires marchands : les navires militaires sont des ennemis, mais pas des cibles puisque les pirates sont à la recherche de nourriture et de butin. L'action des pirates fait qu'ils « menacent la sécurité de la propriété et des possessions », et ce dans des zones d’échanges commerciaux stratégiques comme l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique latine.
Plus de 2400 navires pillés.
En 1716, le gouverneur de Virginie écrit que « l’ensemble du commerce du continent peut etre mis en péril si des mesures urgentes ne sont pas prises afin d’éradiquer ce mal croissant ». L’impact des pirates est principalement lié à leurs pillages, mais aussi au fait qu’ils ralentissent ou compliquent les transports de marchandises par bateau en étant sur la mer, les autres bateaux en ayant peur : par ex en 1722 la présence de navires dans les parages contraint à interrompre tout commerce dans le port de Philadelphie pendant une semaine.
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Sur la période 1716-1726, plus de 2400 navires sont pillés. Il s'agit souvent de pillages non complets car les pirates recherchent surtout de la nourriture, et aussi parce que toutes les cargaisons ne leur conviennent pas : « si le navire est petit ou si le capitaine prouve qu’il a ‘bon caractère’, les pirates rendent les prises à l’équipage avec quelques modestes prélèvements. Parfois ils ne veulent que nourriture et boissons. (...) les grosses cargaisons de sucre, tabac, ou d’esclaves sont sans aucun intérêt pour les pirates : ils n’ont tout simplement pas moyen de les revendre ». Malgré cela, leur impact est considérable: à cause du nombre de navires touchés, mais aussi parce qu’il n’y a quasiment jamais de récupération de la marchandise : les rares vaisseaux capturés ne contienne souvent plus les cargaisons volées. De plus, les pirates (contrairement aux corsaires) coulent ou incendient volontairement une partie des navires (environ 11 %, soit 250 navires), ce qui augmente la perte financière puisque le moyen de transport lui-même est perdu et prend beaucoup de temps et d’argent à reconstruire.
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Au total, entre 1716 et 1726, « les pirates capturent plus de navires et font davantage de dégâts au commerce que les campagnes des Etats et des corsaires pendant toute la guerre de succession d’Espagne », au point que « les pirates ont entraîné une véritable crise du commerce : entre 1715 et 1728, la croissance des transports maritimes et nulle : il s’agit d’une longue période de stagnation située entre deux périodes de forte croissances ».
Un obstacle à la traite des esclaves.
Au-delà du commerce classique, les pirates ont eu un impact spécifique sur le commerce des esclaves. A la fin de la guerre de la Succession d’Espagne, la Grande Bretagne signe avec l’Espagne un accord commercial (« l’asiento ») pour pouvoir transporter légalement 4800 esclaves par an sur les routes maritimes (la réalité dépassera ces chiffres). Au même moment, les autorités britanniques « dérégulent » ce « marché » pour le développer, en retirant son monopole à la Royal African Company au bénéfice de marchands indépendants. Les pirates perturbent donc ce commerce à un moment crucial.
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Les équipages pirates s’intéressent particulierement aux navires transportant des esclaves : non pas à cause des hommes et femmes enchaîné.es en cargaison, mais surtout car « de nombreux marins pensent que les bateaux d’esclaves – grands, solides, en bon état de navigation et généralement équipés d’une importante variété de canons – font les meilleurs vaisseaux pirates ». De fait, en 1724, un rapport évalue à « près de 100 vaisseaux en 2 ans » le nombre de navires négriers capturés ou coulés par des pirates. De plus, sur les côtes africaines, les pirates de l’époque ne se contentent pas d’attaquer les transports : ils s’en prennent parfois aux forteresses à terre « qui servent de nœuds vitaux au traffic humain », car s’y trouvent les métaux précieux qui ont servi à acheter les esclaves.
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L’impact des pirates sur la traite est évident : « le nombre d’esclaves embarqués atteint son plus bas niveau en 1720,1721, et 1722, soit les années d’apogée des pirates, il s’accroît immédiatement après leur éradication » (il double en 5 ans, de 25 000 à 48 000 esclaves déporté.es annuellement).
Intervenir pour « dégager un obstacle majeur à l’accumulation du capital »
L’impact majeur des pirates sur le commerce, notamment d’esclaves, est la cause du système de poursuites et de répression qui a été mis en place contre eux. Les rapports alarmants sur l’impact économique des pirates se multiplient auprès des autorités, et les lois et le nombre de frégates militaires lancées à leur poursuite aussi.
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Humphrey Morice, un des plus grands marchand d’esclaves de l’histoire, personnellement responsable de la déportation de plus de 20 000 personnes, s’est mis à consigner factuellement les dommages faits à sa flotte (34 navires capturés en 5 mois en 1719!) pour contraindre le gouvernement britannique à lancer des offensives militaires. Il a lancé deux pétitions, l’une des « planteurs marchands et négociants impliqués aux Antilles » et l’autre des « marchands faisant commerce entre Londres et l’Afrique », soutenues par de nombreux marchands, pour faire pression sur le gouvernement britannique. Il utilise ses connexions politiques pour obtenir le renforcement des lois, votées en quelques semaines, et le déploiement de frégates militaires pour protéger le commerce des esclaves.
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En 1722, des offensives militaires sont lancées et finissent par anéantir les équipages pirates spécifiquement le long des côtes africaines. A partir de 1730, "la Grande-Bretagne devient la plus grande nation esclavagiste du monde" et le restera pendant un siècle.