1. l’âge d’or de la piraterie : contexte (que sait le marin qui va devenir pirate en 1716, du monde dans lequel il vit?)
L’explosion de la piraterie en Atlantique entre 1716 et 1726 fait suite à la fin de la guerre de Succession d’Espagne. C’est un contexte bien particulier, que Marcus Rediker retranscrit par le regard des marins de l’époque.
Alors, que sait le marin à cette époque ?
« il sait que la plupart des villes portuaires de l’Atlantique où il accoste appartiennent à 5 puissances mondiales : l’Espagne, le Portugal, les Pays-bas, la France et l’Angleterre. Il sait par expérience que ces puissances se livrent à des guerres qui lui semble incessantes. Il sait que ces guerres sont essentiellement menées pour l’enrichissement. » Précédemment en effet, les conflits étaient centrés sur l’acquisition de territoires, ou sur la religion. Or, à cette période, les frontières des États sont globalement stabilisées et « les guerres de religion cèdent le pas aux guerres commerciales : le contrôle des océans est la clé d’un commerce accru, de profits plus importants, de croissance économique et de pouvoir national. Le marin sait que les navires sont un outil essentiel dans ce processus, et que c’est son propre travail qui fait avancer le bateau. Il sait aussi que l’année 1716 est une année particulièrement difficile » : la fin de la guerre de succession d’Espagne, en 1712 entraîne une démobilisation massive des marins, de nombreux marins se retrouvent au chômage. Pendant quelques années, le transport de marchandises depuis les colonies, lié à la fin de la guerre, permet encore de trouver du travail. Mais en 1716, le commerce baisse et le besoin de main d’œuvre est au plus bas. « des populations pauvres et sans travail, plus spécialement celles qui ont de grandes capacités techniques, ainsi que des navigateurs désespérés envahissent pratiquement toutes les villes portuaires. » En parallèle, à bord, en quelques années, les salaires ont été diminués de moitié!
A quoi ressemble la vie à bord des navires marchands et militaires pour un marin de l’époque ?
D’abord, les conditions matérielles sont très difficiles : ils font face à «une nourriture aussi pourrie que maigre, des maladies dévastatrices, des accidents, des naufrages, ainsi qu’une mort prématurée. Ils ne retirent presque rien d’un labeur qui peut leur couter la vie. Les salaires sont très faible en temps de paix, quand ils sont versés. » Les salaires dans la Royal Navy sont encore plus bas que sur les navires marchands. La nourriture à bord « est constamment rationnée par les intendants et les officiers corrompus ». La mortalité est très élevée (sur les navires transportant des esclaves, « le taux de décès des marins est équivalent ou supérieur à celui des esclaves »), et le nombre de blessures et de mutilations aussi. De fait, sur les navires pirates, le travail sera moins intense : « un bateau marchand de 250 tonnes qui compte un équipage de 16 à 18 bras [donc de 8 à 9 personnes], peut s’il est saisi et radoubé par des pirates contenir un équipage de 80 à 90 hommes ».
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Ensuite, les marins sont mal-traités à bord : les pirates rapportent « un régime disciplinaire violent, la brutalité ordinaire et omniprésente pratiquée par les capitaines de bateau transportant des biens et marchandises ». Certains expliquent être « frappés et humiliés sans merci par leurs officiers », ou rapportent avoir vécu des formes d’extorsion, où leur salaire de bord est confisqué pour payer l'alcool qu'ils ont consommés, ou leur voyage retour, de sorte qu’ils finissent leur travail endettés.
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Sur les navires corsaires (=des équipages autorisés par un Etat à attaquer les navires marchands d’un autre Etat, donc des sortes de pirates officiels), « la vie est plus aisée ». « La nourriture est de meilleure qualité, la paye supérieure, les périodes de travail plus courte et le pouvoir de décision plus important. Certains capitaines mènent cependant leur batiment comme s’il s’agissait d’un vaisseau militaire » Mais à ce moment charnière, vers 1716, les Etats, qui avaient eu largement recours aux corsaires et flibustiers durant la guerre comme des outils pour déstabiliser les États ennemis, voire comme mercenaires, ont signé une paix qui repose sur une stabilisation des empires et des accords commerciaux, notamment sur l’accès aux routes de la traite négrière. Les pirates, d’alliés utiles lorsqu’ils étaient flibustiers, deviennent des ennemis sur la route du commerce.
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Voilà pour le contexte ! La semaine prochaine : 2. qui sont les pirates ? Comment devient-on pirate ?