2. qui sont les pirates ? Comment devient-on pirate ?
Les pirates sur cette période et dans cette zone sont, d’après les estimations, un peu plus de 4000 au total. De 1000 en 1716, ils culminent à 2400 personnes vers 1720, puis déclinent à 500 en 1724. Pour comparer, la Royal Navy (leur principal ennemi), emploie à l’époque 13 000 hommes par an. « à l’époque, au moment de leur apogée, les pirates, qui naviguent sur des bateaux puissamment armés, représentent donc une formidable puissance militaire ». Mais alors,
Comment devient-on pirate ? « il y a deux façons fondamentales de devenir pirate ».
« la plus spectaculaire, mais aussi la moins répandue, c’est la mutinerie : des marins prennent audacieusement et collectivement le contrôle de leur propre navire ». Sur un total de 80 bateaux pirates, environ 20 sont issus d’une mutinerie d’après Rediker. La mutinerie est directement liée aux conditions de vie à bord des navires : « sur un navire, comme dans une prison ou une caserne, l’émeure – l’émotion populaire – se nomme mutinerie. […] geste précurseur de la grève sauvage ».
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Mais « le plus souvent, le matelot devient pirate par une seconde voie : en se portant volontaire lorsque son navire marchand est capturé ». Dans des lettres, des capitaines s’en inquiètent entre eux « Nombreux seront ceux qui se rallieront à eux avec joie lorsqu’ils seront capturés » - « les gens sont généralement contents d’avoir une possibilité de les rejoindre ». Lorsqu’un navire de commerce est abordé, les pirates « rassemblent les marins du vaisseau capturé et leur demande s’ils souhaitent servir sous la bannière à tête de mort. Généralement, plusieurs d’entre eux avancent d’un pas pour manifester leur accord. Mais certains hommes veulent se porter volontaires sans le montrer, ils veulent l’alibi de la contrainte au cas où ils seraient repris". Le capitaine pirate Bartholomew Robberts parle ainsi de « ces mines suppliantes » auxquelles il fait la grâce de jouer leur jeu en criant « je dois contraindre ces gars-là par la force ». Plusieurs sources parlent d’environ un tiers de membres d’équipages qui font le choix de se rallier aux pirates après un abordage.
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En principe, les pirates ne prennent que des volontaires, ce qui est étayé lors des procès par des témoins ayant refusé « il est de coutume chez les pirates de ne contraindre aucun prisonnier à les suivre », car la cohésion et l’enthousiasme assurent l’autodéfense et le succès des pillages en haute mer. Quelques cas d’enrôlement forcé sont cependant rapportés, pour des travailleurs qualifiés : un charpentier, un médecin notamment. A la fin de l’age d’or, quand la répression se fait féroce (vers 1725), il arrive plus fréquemment que des équipages soient forcés, car le nombre de pirates volontaires diminuent. Certains de ces équipages contraints organiseront d’ailleurs des mutineries eux-mêmes contre leur capitaine pirate.
Et donc, qui sont les pirates ?
Marcus Rediker a étudié la trajectoire de 778 pirates.
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D’abord, quasiment tous les pirates de l’époque sont des hommes et des anciens marins, principalement issus des bateaux marchands, mais aussi des corsaires, militaires voire pêcheurs issus des bateaux de Terre-Neuve. Quelques uns sont des « hommes de la baie », des anciens navigateurs qui se sont reconvertis à terre, notamment dans la bûcheronnerie. Quelques uns enfin sont des « serviteurs en apprentissage », des jeunes envoyés vers 14 ans dans les colonies en punition de crime commis en Angleterre. Mais globalement « la piraterie n’est pas une alternative offerte aux gens des terres » : sauf exception, on ne devient pas pirate sans expérience de la mer.
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L’autre point saillant est que « les pirates, sans exception ou presque, sont issus des classes sociales les plus basses », et sont des hommes « sans possessions ». La « proportion de pirates de cette génération que l’on peut qualifier de propriétaires est exceptionnellement faible », et Rediker n’a relevé dans son étude que 2 gentlemen. Dans ces conditions, « la piraterie était (...) le résultat d’un conflit de classe nourri de visions d’une vie meilleure ».
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60 % des pirates ont entre 20 et 30 ans, avec une moyenne d’age de 28 ans : ils sont un peu plus âgés que la population des marins, qui compte davantage d’adolescents.
D’où viennent les pirates ?
« Les pirates sont pour la plupart des marins de haute mer, de ceux qui ont embarqué depuis des villes portuaires pour de longs voyages vers des contrées lointaines. Ils sont loin de chez eux. ». Cependant, il semble que la plupart n’ont que peu d’attaches à terre, et notamment, pas de foyer qui les attende.
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Sur leurs origines, « une chose est claire : la majorité des pirates est issue de populations ayant vécu en Angleterre, en Irlande, en Ecosse et au Pays de Galles » (ce que l’on commence à appeler alors « être britannique »), et quasiment 1/3 viennent du Grand Londres et de ses quartiers marins. Environ 25 % sont américains au sens large : Antilles ou Amérique du nord. Enfin, « certains proviennent de nombreux autres pays du monde , comme la Hollande, la France, le Portugal, le Danemark, la Belgique, la Suède, et plusieurs régions d’Afrique : Calabar, Sierra Leone et Whydah ». Cette proportion est estimée entre 10 et 20 % des pirates. En tout cas, les pirates sont regardés par les officiers royaux comme « des bandits de toutes nations », et cela est particulièrement soulevé dans les courriers et actes de procés : la nature multi-nationale des équipages est frappante.
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Et les pirates noirs ?
Il est fréquent de dire que les pirates libèraient les esclaves lorsqu’ils abordaient des bateaux négriers. Marcus Rediker apporte une vision nuancée sur ce point: « même si une minorité substantielle de pirate a participé à la traite, et même si certains équipages capturent et revendent occasionnellement des cargaisons comprenant des esclaves, les Africains et les Afro-américains sont nombreux et actifs sous le Jolly Roger. » Il explique en outre que leur nombre est sous évalué car ils sont « souvent escamotés dans les actes légaux rédigés par les tribunaux. Les représentants coloniaux refusent souvent de juger les pirates noirs, préférant en tirer profit en les revendant comme esclaves. »
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Les pirates noirs peuvent représenter une majorité à bord de certains navires : 60 sur 100 hommes dans l’équipage de Barbe Noire, 40 sur 80 dans l’équipage de William Lewis. Si une part des pirates noirs sont des esclaves libérés à bord, d’autres sont des évadés des terres et quelques uns seulement sont des hommes libres avant d’embarquer. Globalement, les dirigeants de l’époque craignent « la connexion entre le ravage des pirates et l’insurrection des Nègres ». Bien que les esclaves soient des femmes et des hommes, Marcus Rediker ne semble parler que d'hommes quand il évoque ceux qui deviennent pirates : je ne sais pas ce qu'il advient des femmes esclaves sur les bateaux négriers arrimés.
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Enfin, la culture maritime de l'époque comprend aussi des emprunts à des cultures africaines, notamment dans les chansons (en 1743, des marins sont memes traduits en cour martiale pour avoir chanté "une chanson nègre" pour exprimer leur indiscipline), et certains rituels de mutinerie.
Et les pirates femmes ?
Evidemment, on aimerait bien se dire qu’il y a eu plein de femmes pirates. La réalité n’est pas si joyeuse : des femmes pirates il y en a eu, mais peu. Parmi ces 778 pirates, Marcus Rediker a identifié 4 femmes (blanches).
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Globalement, la navigation est perçu comme un univers exclusivement masculin, et la croyance est forte que « les femmes sont contraire au travail et à l’ordre à bord. ». « De nombreux marins voient les femmes comme des objets de fantaisie et d’adoration, mais aussi comme des sources de malchance ou de conflit, de brèche potentielle dans l’ordre viril et solidaire de la navigation en mer ». En outre, à l’époque, « le bateau dépend de la force brute pour un grand nombre d’opérations » ce qui est considéré comme incompatible avec le fait d’avoir des femmes marins. Cela étant, il est établi que des femmes de l’époque prennent la mer en tant que femme, à plus d’un titre : « comme passagère, domestique, épouse, prostituée, blanchisseuse, cuisinière, mais aussi comme marins en service ». Sur cette base, quelques unes deviennent pirates, sachant que comme le souligne Rediker, cela est souvent appuyé sur « une tradition solidement enracinée dans la culture des bas-fonds : celle du travestissement de femmes en hommes ». De fait, il est probable que quelques femmes pirates n’aient jamais été reconnues comme telles, car les femmes qui nous sont connues le sont parce que « leur existence a été révélée parce que leur vaisseau a été capturé et qu’elles ont été jugées ».
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Rediker détaille plus spécifiquement le parcours des deux femmes pirates les plus connues de cette époque: Mary Read et Anne Bonny : je vous renvoie à leurs fiches wikipedia pour en savoir plus. Leur point commun est « d’être jeune, célibataires, d’origine modeste et de naissance illégitime ». Leur parcours illustre également que la présence des femmes à bord des navires « n’existe que parce qu’une action radicale de leur part l’a d’abord rendue possible ». Une fois à bord, et connues comme femmes, elles « adoptent le style culturel du pirate avec enthousiasme. Elles maudissent et jurent, sont armées jusqu’au dents et portent leur pistolet et leur machette à la manière des hommes biens entrainés au combat. Elles revendiquent la loi non écrite du courage […] en s’appropriant ce qui est considéré comme une liberté masculine, elles ne sont pas seulement tolérées par leurs compatriotes masculins, elles exercent un leadership considérable à bord de leurs navires ».
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En tout cas, l’existence de femmes pirates frappe fortement la mémoire et la culture populaire : de nombreuses ballades sont écrites à leur sujet, elles font l’objet de gravures (ainsi que d’autres femmes un peu plus tard, comme Grace O’Malley, Hannah Snell, Ann Mills), dont l'une utilisée pour la couverture du livre de Daniel Defoe sur les pirates aurait, d'après Reddiker, inspiré la composition du tableau La Liberté guidant le peuple de Delacroix.