7. les pirates, la violence et la mort
Les pirates sont violents, tuent et mutilent volontairement : c’est un fait qu’on ne peut esquiver. Au-delà de la violence nécessaire pour gagner leurs combats et s'accaparer des navires, leur réputation d’assoiffés de sang se base aussi sur des actions qui s’inscrivent dans des contextes précis.
« le butin pas le sang »
En temps normal, les pirates n'hésitent pas à recourir à la violence pour gagner leurs batailles navales, mais l'évitent s'ils peuvent. Ils recherchent, selon leur slogan : « le butin pas le sang »: « ils répugnent à combattre, leur ambition est d’obtenir du butin et de vivre pour savourer le plaisir qu’il procure » explique un observateur.
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Leur principale tactique est d’ailleurs d’intimider les équipages adverses pour qu’ils se rendent sans se battre. Quand ils sont suffisamment proche du navire qu'ils convoitent, ils hissent leur drapeau pirate (le "Jolly Roger") et se donnent un air méchant et prêts au combat sur le pont : fréquemment, cela suffit à ce que le navire en face se rende sans combat. Principalement, la violence gratuite s'exerce contre les capitaines qui ont été violents envers leur équipage : dans ce cas, les pirates recourent facilement à de la torture (comme les attacher au mat et les faire taillader par des tessons de verre par tout l'équipage), avant de les tuer.
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Justifier la terreur : "ce sont les ennemis communs de toute l'humanité"
Si en temps normal, les pirates ne recherchent pas spécialement la violence, une spirale va se mettre en place en à partir du moment où les Etats recourent exclusivement à la répression.
A partir de 1716, les Etats décident de travailler à l'extermination de la piraterie. Se met alors en place une campagne de « propagande racoleuse » pour justifier la manière dont les pirates vont être traités, et l'objectif de les « extirper du monde ». Ils sont alors largement qualifiés d'«ennemis communs de toute l’humanité », et le raisonnement qui s'applique est que « puisque les pirates tendent à subvertir les droits naturels de l’humanité, ils doivent être éliminés dans l’intérêt de l’humanité », comme l'explique un procureur.
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C'est donc une logique du "barbare" qui se met en place : puisque les pirates sont globalement hors de l'humanité normale, alors on peut les exterminer sans difficulté. Cette campagne pour « nettoyer la mer » s'appuie sur toutes les autorités de l'époque: des officiers royaux, des marchands, des éditoralistes, des prêtres et des écrivains, chacun dans leur registre, relaient cette image du pirate : ce sont « des monstres cruels, assoiffés de sang», des «chiens de l’enfer », « ils ne méritent pas le nom d’hommes », etc. On insiste beaucoup sur le fait qu’ils sont fous et sèment le trouble dans les esprits, notamment en refusant l'autorité, en usant de violence et en ayant une sexualité atypique: «l'eur tempérament naturel est la fureur », leur mode de vie est fait de « luxures et débauches », ils sont « perpétuellement le jouets de leurs désirs sexuels », et cela les rend esclaves de Satan. On les qualifie même d'«antithèse du mode de vie chrétien ».
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La violence de cette image justifiera la violence exercée contre les pirates : les moyens militaires engagés contre eux sont considérables, et aboutiront à ce qu'environ 450 pirates soient pendus en 10 ans, soit un sur dix, (bien plus que dans les groupes condamnés à mort de l’époque, souvent graciés partiellement).
La contre-terreur : la revanche par solidarité pirate
En réaction, les pirates recourent de plus en plus à la violence. Par exemple, Barbe Noire brûle un navire « parce qu’il appartint à Boston et que les habitants de Boston ont pendu des pirates ». Ce type de récits se multiplie : « lorsque Bartholomew Roberts apprend que le gouverneur de Nevis a exécuté des pirates en 1720, ils naviguent vers le port de Basse Terre, mettent le feu à plusieurs navires et offrent une forte récompense à quiconque leur livrera les officiels en main propre. »; « Ils parviennent à capturer un navire transportant le gouverneur de la Martinique, et celui-ci ayant pendu des pirates, ils le pendent lui-même à la grande vergue de son propre navire». Cette guerre des nerfs, - un pendu pour un autre – engendre une spirale de violence. À partir de 1722, les pirates commencent à exécuter des prisonniers, en vengeance, ce qu’ils ne faisaient pas avant.
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A partir de ce moment, si les pirates naviguent, c'est pour « survivre envers et contre tout moins que pour le butin », « le maintien d’une vie de liberté ». « Ceux qui restent deviennent plus enragés, plus déséspérés, plus violents et plus cruels. ». C'est à ce moment là aussi qu'on voit apparaître des enrôlement forcés, car les volontaires sont moins nombreux.
« Une vie joyeuse et courte »
Globalement, les pirates témoignent d'un rapport particulier à la mort : « la peur de la mort n’est pas un obstacle » pour eux. Le capitaine Bartholomew Roberts explique son raisonnement : « dans le service marchand, il y a des chambrées minuscules, des salaires misérables et un travail épuisant ; dans cette vie-ci, l’abondance et la satété, le plaisir et les facilités, la liberté et le pouvoir. Qui ne voudrait admettre que celle-ci est bien meilleure ? Une vie joyeuse et courte, ce sera ma devise ».
Ainsi, de nombreux équipages promettent « qu’ils se feront sauter plutot que de se laisser capturer ». Certains font à deux des serments de matelotage et promettent de se tuer mutuellement plutot que d’être pris. Certains le font effectivemment, notamment dans la flotte de Bartholew Roberts, : il est fréquent qu'ils essaient de faire sauter le bateau, ou au moins exploser un baril autour duquel ils s'entassent, quand un combat est perdu.
L'humour est très présent dans le rapport à la mort des pirates : dans les chansons, le théatre, on se moque souvent de la peur de la mort. Le fameux drapeau pirate en témoigne. Chaque équipage choisit le sien, mais il représente le plus souvent un squelette (et non juste une tête), et des sabliers qui symbolisent le temps. Le squelette est un symbole fréquent à l'époque, équipés d'ailes pour signifier l'envol vers le paradis : les pirates retirent les ailes et font référence à l'enfer. A l'époque, «old roger» est un surnom du diable: les pirates le renomme « Jolly Roger », ce que l'on peut traduire par le "joyeux diable" (sachant que roger signifie aussi baiser).
Entre 25 et 50 % des personns qui ont été pirates à ce moment-là trouveront la mort sur la période : par pendaison, mais aussi durant les combats et par des noyades.